[MUSIQUE] Pour comprendre l'émergence de la pédagogie de Paulo Freire ou de l'éducation populaire en Amérique latine, il faut comprendre l'arrière-plan social dans lequel ces pédagogies se sont développées. En Amérique latine, on peut dire que l'arrière-plan socio-économique c'est les inégalités. Comme vous pouvez le voir, les inégalités en Amérique latine sont probablement les plus élevées au monde. Habituellement, on mesure les inégalités par un indice qu'on appelle l'indice de Gini, qui mesure dans une société donnée la répartition des revenus selon les groupes sociaux. En Amérique latine, les revenus sont concentrés chez une minorité de la population. Mais pour l'illustrer avec vous d'une manière plus directe, je vais décrire le profil de deux types de jeunes latino-américains, le premier que je vais appeler le jeune latino-américain privilégié. D'une manière générale, il a de fortes chances d'être d'origine européenne. Il va fréquenter des écoles privées ou d'élite pendant sa scolarité, il va profiter de son réseau social pour accéder à un emploi et en termes d'habitat, il a de fortes chances d'habiter dans un quartier privilégié, voire dans une zone résidentielle fermée. C'est le premier profil que je décris pour vous. Le profil inverse, vous avez le profil du jeune latino-américain que j'appellerais défavorisé. Dans le langage de Paulo Freire, on va l'appeler le jeune latino-américain opprimé. Il a de fortes chances de provenir d'une zone rurale ou une zone de montagnes, quand on parle des pays andins, il a de fortes chances de provenir d'un groupe ethnique minoritaire et il aura la possibilité actuellement en Amérique latine de fréquenter l'école publique, en général de mauvaise qualité, durant sa scolarité primaire. Entre l'âge de 12 à 18 ans, il a de fortes chances de quitter l'école parce que sa famille n'arrive pas à maintenir son maintien à l'école, et donc il va rentrer d'une manière précoce sur le marché du travail. En matière d'habitat, ce jeune latino-américain défavorisé a de fortes chances d'habiter dans ce qu'on appelle au Brésil les favelas ou ce qu'on appelle au Chili les [INCONNU], en tout cas un quartier défavorisé. Ces deux portraits robots que j'ai décrits expriment les différences énormes en termes de revenus, conditions sociales selon la catégorie sociale à laquelle on appartient en Amérique latine. Je souhaite maintenant détailler un peu plus quels sont les facteurs qui expliquent ces inégalités sociales, pourquoi il est difficile d'agir sur ces inégalités sociales et je terminerai par évoquer les espoirs possibles pour sortir de cette situation. Pour commencer, quels sont les facteurs structurels qui expliquent les inégalités sociales et éducatives en Amérique latine? On peut citer tout d'abord l'appartenance sociale ou la catégorie sociale de l'apprenant, c'est-à-dire l'origine sociale et les revenus de sa famille. Selon votre origine sociale, revenus de votre famille, vous allez être confronté différemment aux inégalités. Deuxième facteur, c'est l'appartenance ethnique. L'appartenance ethnique c'est la catégorie ethnique à laquelle vous appartenez. Par exemple, au Brésil, il y a la catégorie ethnique noir, blanc, métisse. Quand vous appartenez à la catégorie ethnique noire, vous avez de fortes chances à être confronté à des défis éducatifs énormes pour réussir à l'école. Troisième facteur d'inégalité, c'est le facteur genre. Le facteur genre c'est selon le sexe homme ou femme, vous allez avoir une trajectoire scolaire plus défavorable pour les filles et ceci est d'autant plus important qu'on parle de région rurale. Autrement dit, on peut dire qu'en Amérique latine, l'inégalité homme femme a été réduite dans les zones urbaines, mais dans les zones rurales cette inégalité persiste. Je rajouterais que tous ces facteurs agissent de concert, c'est-à-dire en fait les facteurs agissent en même temps. Pour l'illustrer, on peut dire que la catégorie la plus défavorisée dans toute l'Amérique latine c'est la catégorie femme pauvre appartenant à une minorité ethnique. Donc, quand vous cumulez ces trois facteurs, je peux rajouter aussi l'handicap, vous pouvez avoir aussi une femme pauvre handicapée appartenant à une catégorie ethnique, et donc là vous êtes dans la catégorie la plus défavorisée. Maintenant, je souhaite tenter de répondre à la question, pourquoi il est difficile d'agir sur ces inégalités. Il est très difficile d'agir sur ces inégalités d'une part parce que l'État investit peu dans l'éducation publique. Comme je l'ai dit précédemment, la plupart des groupes privilégiés fréquentent l'école privée, ce qui n'oblige pas l'État à investir dans l'éducation publique. Et donc, nous avons un sous-investissement dans l'éducation publique, dans la santé publique, dans tout ce qui est services publics en Amérique latine. Un autre facteur important qui explique la difficulté d'agir sur ces inégalités c'est la question de la mobilisation sociale, de la mobilisation de différents groupes sociaux pour contester les politiques publiques, que ce soit dans le domaine de l'économie, dans le domaine de la santé ou dans le domaine de l'éducation. Donc, on peut dire que l'Amérique latine se caractérise non seulement par la présence massive d'inégalités mais par la difficulté d'agir sur ces inégalités. L'espoir est-il possible dans un contexte où les inégalités sont tellement criantes? Je peux répondre que l'espoir existe. Il est où? L'espoir existe du côté de la société civile. Si vous prenez un cas comme le cas du Chili, ayant passé une dictature très autoritaire, le Chili actuellement est une démocratie en transition, où la société civile se mobilise, où les syndicats contribuent à essayer de réduire les inégalités, et où finalement les jeunes se mobilisent pour une autre société, une société alternative. En conclusion, je souhaite vous dire, malgré les difficultés sociales en Amérique du Sud, il y a de l'espoir. L'espoir est illustré par la pédagogie de Paul Freire, par l'éducation populaire, par les mouvements de jeunes. Tous ces mouvements contribuent à essayer de réduire les inégalités sociales et éducatives. Pourtant, il faut rester vigilant. Quand on observe un pays comme le Brésil ou la Colombie, les régimes actuels sont des régimes autoritaires où finalement la question des inégalités sociales devient de plus en plus exacerbée. [MUSIQUE]